Dans l'imaginaire populaire, lorsque l'on pense à la Grèce, ce sont souvent l'Antiquité ou le sirtaki qui viennent à l'esprit. Fabrice Contri, directeur des Ateliers d'ethnomusicologie (ADEM), convie les musiques de ce pays le temps d'un festival en mars prochain, permettant ainsi de sortir du carcan des clichés et d'aller à la rencontre d'une culture pétrie d'influences diverses.
Texte de Katia Meylan, Photos de Dora Zarzavatsaki
Propos recueillis auprès de Fabrice Contri, directeur des ADEM, et Anna Koti, chanteuse
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(Kelly Thoma à la lyra crétoise)
En Suisse, un intérêt se manifeste depuis plusieurs décennies pour la Grèce, notamment grâce au tourisme. Fabrice Contri l'a noté, mais s'il a reprogrammé le festival MOUSIKI en présentiel cette année – une édition 2021 avait eu lieu en ligne – ce n'est pas pour répondre à un effet de mode mais pour valoriser les univers d'artistes inspirant∙e∙s qui gravitent autour de son institution genevoise. Sa programmation met ainsi en évidence la place qu'occupe la Grèce dans le monde, tant géographiquement, à la fois continentale et insulaire, entre le Moyen-Orient et l'Europe, qu'historiquement.
Le festival
Parmi les muses du festival, la joueuse de lyra (vièle) crétoise Kelly Thoma, virtuose ancrant ses racines dans la tradition pour faire fleurir ses compositions et improvisations. Dans un but pédagogique commun des ADEM et du Labyrinthe, plateforme de workshop des musiques modales au sein de laquelle elle enseigne, la musicienne profitera de sa venue au festival pour préparer des élèves de la HEM à une création qui aura lieu en novembre.
Aux côtés de la lyra, le festival met en valeur divers instruments et leurs ambassadeur∙drice∙s: le santouri et le grand luth à archet yayli tambur joués par le Duo Ourania – Evgenios, programmé le 18 mars, et bien sûr, le fameux bouzouki, messager privilégié de la musique grecque et personnage à part entière du spectacle jeune public Contes et musiques de Grèce, qui se jouera le 6 mars à l'Alhambra.
Le bouzouki fera également partie du tout nouvel Ensemble Anna Koti, dont les membres seront réunis pour la première fois sur scène. La chanteuse et professeure aux ADEM a imaginé un concert en symbiose avec la ligne artistique du festival telle que nous la dépeint Fabrice Contri. "Ce que j'ai aimé dans ce programme, et c'est pour ça que je l'ai intitulé Chemins de Grèce”, développe-t-il, “c'est qu'il présente des traditions à la fois rurales et urbaines, populaires et classiques, et des contextes différents ; on entre dans les villages, les foyers, mais aussi les tavernes et les cafés avec le Rebétiko… tout ça en incluant la dimension poétique de la chanson crétoise".
Si le programme ravit ses connaissances d'ethnomusicologue… assurément, la voix d'Anna Koti, que la terre hellène semble avoir dotée d'une profondeur posée, saura résonner aussi chez un public moins averti.
Anna Koti - portrait
(Anna Koti en concert à l'AMR)
Diplômée du Conservatoire Hellinikon d’Athènes en chant classique, Anna Koti arrive à Genève en 2007 avec son ex-mari venu y travailler. "Je n'ai jamais regretté, ça été le coup de foudre !", glisse joyeusement celle qui y vit désormais depuis quinze ans.
Son début de carrière au bout du lac est d'abord consacré à l'enseignement de sa langue maternelle. Côté musique, elle chante dans un groupe – ayant entre-temps ajouté une formation jazz suivie aux États-Unis à son bagage classique. La rencontre avec le patron du Rumba Jazz Bar aux Eaux-Vives permet à l'ensemble d'animer quelques soirées. Très vite, les concerts deviennent hebdomadaires et, plus que le jazz, c'est la musique natale d'Anna Koti qui gagne le cœur du public. "Je ne m'y attendais pas, mais en voyant ce succès, on s'est dirigés vers la musique grecque. On a joué là-bas pendant deux ans, comme un rendez-vous. De temps en temps, le bar me proposait d'inviter des musiciens que je faisais venir de Grèce".
Sa transition vers la musique populaire et traditionnelle s'est faite tout naturellement. "En Grèce, on est élevé avec ces musiques, à la maison, dans les fêtes, dans l'atmosphère. Je les avais déjà dans le cœur ! Et passer de ma base classique au chant grec n'a pas été difficile ; j'ai pris des cours techniques, car il y a quelques différences, mais ce sont des détails". Dans une optique de progression constante, elle se renseigne beaucoup, cherche du répertoire.
En tant qu'artiste, elle collabore avec les ADEM lors d'un spectacle jeune public, tisse un lien avec l'équipe et en 2016, y devient enseignante régulière. "Aujourd'hui, mon copain habite en Crète et j'y ai des projets… mais je ne veux pas quitter Genève, alors j'ai décidé de créer un pont artistique entre la Suisse et la Crète". Une initiative soutenue par les ADEM et Fabrice Contri, avec qui elle imagine divers projets.
Lors du festival MOUSIKI, elle ouvrira le bal avec un concert au Théâtre Les Salons le 3 mars, entourée de quatre musiciens venus directement de Crète. Des amis de longue date, qui se produisent habituellement ensemble mais qui seront pour la première fois rejoint par la voix d'Anna.
Accompagnée par l'un des membres du groupe à la lyra, elle animera également un stage de chant grec. Les samedi et dimanche 5 et 6 mars, les choristes en herbe auront en effet l'occasion de s'essayer au chant traditionnel, populaire, actuel et au Rebétiko. Anna nous rassure : nul besoin de connaître le solfège ni l'alphabet grec pour s'inscrire, "traditionnellement, on apprend les chansons populaires à l'oreille !"
Forte de son expérience de professeure mais aussi de directrice de chœur depuis 2016, Anna Koti aime enseigner et ça se voit. "Je suis très touchée par tout ça, de voir que les gens ici désirent entrer dans la culture grecque. Parfois je me demandais pourquoi… mais la réponse, c'est simplement l'amour !"
(L'atelier de chant grec animé par Anna Koti)
Pour aller plus loin :
Festival MOUΣIKI! Musiques de Grèce
Du 3 au 18 mars 2022
AMR, Les Salons et Alhambra, Genève
Tout le programme sur: www.adem.ch
Katia Meylan
Cette année, Les Nuits du Monde, organisées par les Ateliers d'ethnomusicologie (ADEM) en collaboration avec la HEM, présentent quelques-uns des plus beaux récits de l'Histoire humaine, entre divertissement populaire et réflexion philosophique.
Mathieu Clavel
Depuis plusieurs années, les ADEM se sont associés avec l’agence Voyages & Culture, pour proposer des voyages originaux qui mêlent intimement découverte des patrimoines architectural, culturel et musical des pays visités. Du 26 septembre au 4 octobre 2021, un groupe de voyageurs curieux s’est glissé dans les pas de Belà Bartok, un des pères de l’ethnomusicologie, sous la houlette de Doinița, guide et interprète roumaine, et de Mathieu Clavel, complice de longue date des ADEM, musicien et pédagogue, passionné des traditions musicales du monde. Ce dernier signe dans les lignes qui suivent un sympathique témoignage de cette aventure roumaine.
Angela Mancipe
Le 12 décembre prochain, à l’Alhambra, le quintet Halkias-Kostas clôturera l’édition 2021 de notre festival Les Nuits du Monde. Le concert s’articulera autour de l’album Soul of Epirus, enregistré en 2019 par le clarinettiste Petroloukas Halkias et par le laoutiste Vasilis Kostas. Dans un entretien chaleureux et décontracté, Vasilis nous parle du processus d’enregistrement de cet album, un témoin du patrimoine musical d’Épire.
Ana María Villamizar & Jess Hoffman
Destination redevenue lointaine, la Bolivie « magnétique » et envoûtante vient à nous grâce à l’ensemble Alkymia le 15 décembre prochain au Temple St-Gervais de Genève à l'initiative des ADEM. Véritables passeurs entre l’Europe occidentale et les hauts plateaux boliviens, les musiciens de l'ensemble Alkymia puisent aux sources de leurs cultures pour révéler le lien qui unit une tradition musicale, ici sacrée, à l’histoire d’un pays.
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