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d'ethnomusicologie

Faire vivre la musique colombienne ailleurs : Palenque la papayera

Focus | 1 novembre 2021 | Angela Mancipe

Dans le cadre de l’édition 2021 du festival Les Nuits du Monde, et plus particulièrement d’un week-end destiné aux familles, les 13 et 14 novembre, les ADEM donnent carte blanche à Palenque la Papayera, un ensemble musical genevois qui se consacre aux musiques de la région caribéenne colombienne. En avant-goût du spectacle du 14 novembre prochain, Yeyo Ibañez, et Mónica Prada - respectivement directeur musical et chanteuse de l’ensemble - nous livrent quelques clés de compréhension et d’appréciation de leur proposition artistique.

Propos recueillis par Angela Mancipe

 

Palenque la Papayera à la scène Ella Fitzgerald, dans le cadre de la programmation Musiques colorées de la Ville de Genève. (2016).

 

L’ENSEMBLE

 

Ethnosphères magazine : Éclairons d’abord nos lecteurs sur le nom de votre ensemble. D’où vient-il ? Que cherchez-vous à transmettre à travers celui-ci ?

Mónica : Le nom de l’ensemble revêt une signification précise. Les palenques sont des communautés qui ont été constituées au XVIIe siècle en Amérique latine, sur des territoires difficiles d’accès, par des populations d’origine africaine fuyant l’esclavage. Ces dernières se sont fondées sur les mêmes principes d’organisation sociale et culturelle que sur leur lieu d’origine, en les adaptant au contexte de leur nouveaux espaces de vie. Ces spécificités socioculturelles ont survécu aux aléas du temps et se sont en partie maintenues jusqu’à nos jours. C’est ainsi qu’en 2008 l’héritage culturel de San Basilio de Palenque a été considéré « patrimoine culturel immatériel de l’humanité » par l’UNESCO.  San Basilio de Palenque est le nom d’un petit village situé dans les contreforts des Montes de María, au nord de la Colombie. Il évoque pour nous une forme d’intimité, celle d’un petit village qui a su générer une véritable tradition, et qui l’a nourrie au cours du temps, malgré les diverses migrations de ses habitants. L’ensemble Palenque constitue pour nous un espace de rencontre et d’échange musical autour duquel nous nous retrouvons régulièrement entre musiciens d’origine colombienne vivant en Suisse. Notre but premier est de faire vivre les musiques nord-colombiennes dans toute leur diversité, ici, en Suisse, à partir des possibilités existantes. Nous souhaitons ensuite partager cette richesse culturelle avec celles et ceux qui désirent nous entendre et danser au rythme de notre musique !

 

Et qu’en est-il du mot papayera ...

Mónica : Le terme fait référence à notre formation instrumentale ! Très populaire dans la région caribéenne colombienne, la [banda] papayera est constituée généralement de 10 à 20 musiciens. Selon les archives historiques dont nous disposons, ce type d’ensemble tire ses origines des premiers big bands et marching bands arrivés dans les ports côtiers régionaux au milieu du XIXe siècle. L’effectif et le répertoire se sont progressivement adaptés aux circonstances, donnant de plus en plus d’importance à l’interprétation d’airs festifs locaux tels que le porro, la cumbia, le fandango et la puya. De nos jours, une papayera est, pour la partie mélodique, constituée d’instruments de la famille des cuivres (trompettes, euphoniums, trombones et un tuba). La nature du répertoire demande aux instrumentistes une grande habileté technique, particulièrement lors des sections improvisées ! Cet effectif est complété par divers instruments de percussion, comme la caisse claire et les cymbales, auxquels se joignent de nos jours quelques instruments locaux comme les tambours bombo, alegre ou encore les maracones.  Une voix et de choeurs complètent l'effectif.  Voilà d’où vient le nom de notre ensemble : Palenque la Papayera !

Yeyo : Notre ensemble représente un espace d’expression qui a toujours été ouvert à des musiciens venus de nombreux horizons musicaux, qui ont parcouru divers chemins pour s’approcher des traditions. Depuis ses débuts, Palenque a été constitué de musiciens s’abreuvant à diverses « sources » musicales et culturelles. En effet, notre ensemble ne comporte pas uniquement des musiciens d’origine colombienne ; actuellement il y a aussi quelques musiciens d’origine suisse et vénézuélienne. Chacun d’eux s’est formé au sein de milieux musicaux très différents, que ce soit ceux de la musique classique, du jazz, ou encore les musiques populaires, comme la salsa. Chacun apporte sa touche personnelle et musicale à l’ensemble.

 

Ensemble Palenque la Papayera. Vidéo teaser du thème Plinio Sierra,
composé par Pablo Florez et arrangé par Ramón Benítez.

 

Comment définiriez-vous le répertoire que vous interprétez?

Yeyo : Notre répertoire est versatile et reflète un métissage d’influences, mélange qui constitue son ADN. Mais il n’y a pas que le métissage musical qui entre en jeu ; les airs que nous jouons peuvent être interprétés de différentes manières. Cela fait que notre répertoire possède de multiples facettes. À titre d’exemple, le rythme de chandé peut être joué selon une métrique binaire, mais aussi peut apparaitre en ternaire dans certains cas. En plus, il sonnera très différemment s’il est joué par des musiciens de Barranquilla, de Carthagène ou de Ciénaga de Oro. Chaque ville l’interprète à sa façon, chacune appose sa « signature musicale ». Au sein de Palenque la Papayera, aucun des musiciens n’est originaire de la région nord-colombienne, aucun de nous n’est le fils direct de cette tradition. Néanmoins, nous nous considérons comme ses petits-fils, car nous contribuons à l’alimenter et à la faire vivre !

Mónica : Nous interprétons cette musique avec respect, mais aussi  comme nous l’entendons, en l’adaptant aux circonstances. Par exemple, nous avons remplacé les trompettes par des saxophones, afin de profiter des qualités spécifiques des musiciens que nous avons à disposition en Suisse, ceux-ci étant de musiciens ayant une formation de haut niveau dans l'interprétation de cet instrument. Ce changement génère une sonorité particulière, tout en rappelant la couleur sonore des orchestres d’harmonie présents partout en Amérique latine. Cela apporte une nouvelle richesse à notre musique, et la rend unique.

 

Votre dernier disque a marqué votre parcours. Pouvez-vous nous en parler ?

Yeyo : En 2015, nous avons obtenu une bourse de soutien à la création artistique de la part de la Ville de Genève. Nous avons profité de cette opportunité pour inviter Ramón Benítez, joueur d’euphonium, compositeur et excellent arrangeur, une référence dans le milieu des musiques nord-colombiennes. Nous avons également convié Tato Marenco, producteur de Totó la Momposina, par ailleurs nominé cette année aux Grammys latino. Il a joué avec nous les tambours traditionnels.  Cette collaboration s’est concrétisée par un concert sur la scène Ella Fitzgerald, et une production discographique chez Buda music. Le disque inclut des arrangements de thèmes qui sont devenus de véritables « classiques » du genre, ainsi que nos propres compositions. Le processus d’élaboration de cette production discographique et les échanges avec ces deux musiciens se sont révélés pour nous très formateurs.

Mónica : Nous espérons faire un autrel album prochainement, en invitant de nouveau des musiciens de la région caribéenne colombienne pour continuer à promouvoir ces traditions musicales, dans toute leur essence, mais aussi pour refléter la variété des divers univers musicaux qui caractérisent la Ville de Genève. Actuellement, nous cherchons des fonds pour finaliser ce projet.

 

Écoutez l’album Ramón en Palenque ici :

 

FOCUS SUR LE SPECTACLE JEUNE PUBLIC DU 14 NOVEMBRE

Durant ces dernières années, vous vous êtes produits dans la région genevoise essentiellement en formation fanfare, propice pour les farandoles. Que préparez-vous pour votre concert à l’Alhambra ?

Yeyo : Nous proposons cette fois-ci un spectacle musique et danse destiné au jeune public et aux familles exprimant le patrimoine musical colombien dans sa diversité, tel que nous le faisons vivre actuellement en Suisse. Nous souhaitons reprendre la tradition ancrée dans le quotidien des villages latino-américains, où les familles se réunissent sur la place centrale du village les dimanches après les célébrations religieuses pour écouter et danser les musiques locales des bandas. Ce format de « concert dansé », qui rapproche les enfants des adultes, nous paraît très pertinent aujourd’hui, en une période où les distances sociales et physiques se sont renforcées, nous éloignant de ce fait les uns des autres. Dans le contexte originel, cette manière de vivre la musique en famille a toujours contribué à raffermir les liens soudant la communauté.

Mónica : Nous souhaitons proposer un spectacle qui favorise davantage le contact avec notre public, évidemment dans la mesure où le contexte sanitaire le permet. La musique nord-colombienne suscite souvent chez le public l’enthousiasme et l’envie de danser. Notre concert s’accompagnera cette fois d’un couple de danseurs, qui montrera combien les manières de danser sont diverses, à l’instar des rythmes caribéens colombiens.

 

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EN REGARD

Concerts du weekend des familles festival Les Nuits du Monde 2021 :

Tapanak, samedi 13 novembre. Plus d'infos ici.

Fanfare colombienne, dimanche 14 de novembre. Plus d'infos ici

 

POUR ALLER PLUS LOIN

Cours de musiques latino-américains aux ADEM

Article Film Son de Gaitas

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